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15/12/2019

Dernière séance

J'ai arrêté ma thérapie. J'ai bien dit "arrêté", non "terminé". Qu'en est-il ressorti ? Ai-je résolu mon problème d'accumulation compulsive pour laquelle j'ai consulté à la base ? Non. Rien n'a changé dans ce domaine. Sauf que je l'accepte un peu mieux. Par contre, d'autres choses se sont améliorées.

Ma relation avec mon mari est ce qui a le plus progressé. Il me faisait de plus en plus régulièrement des crises à cause de mon désordre et de mon incapacité à me débarrasser d'un tas de choses que la plupart des gens considéreraient (comme lui) inutiles. Mais en plus, il se comportait de plus en plus comme un surveillant, un contrôleur. Et ses remarques se multipliaient. Que ce soit la vaisselle, le nettoyage, la conduite de la voiture, il y avait toujours des choses que je ne faisais pas bien. Pas selon ses critères en tout cas. Parfois je me disais qu'un jour il me quitterait à cause de ça. Ou moi. Je lui ai rarement parlé de ce qui se passait en séance et pourtant, il ne se comporte plus du tout de la même façon actuellement. Blanche dit que c'est mon nouveau positionnement qui a entraîné un changement de sa part. Lui, dit qu'il a réfléchi et qu'il ne peut pas m'en vouloir de ne pas pouvoir me comporter autrement. C'est un peu comme s'il reprochait à un paralytique de ne pas courir un 100 mètres. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'il ne me fait plus jamais de crises, beaucoup moins de remarques, que nos discussions sont plus courtes et plus calmes et ... qu'il est plus tendre, moins tendu et qu'il semble plus heureux de la vie qu'il mène avec moi. Et moi donc !

En ce qui concerne ma fille aînée, les personnes qui me suivent ici ont dû remarquer que je n'abordais presque plus le sujet. Il est vrai que j'ai beaucoup moins écrit quand j'ai commencé à voir Blanche. J'en ai beaucoup parlé avec elle, en thérapie. Et j'ai réussi à prendre du recul par rapport à sa façon d'élever son fils. J'avais écrit "beaucoup de recul", mais c'est peut-être un peu présomptueux de le prétendre. Ce qui ne me pose plus de problèmes, c'est sa permissivité, c'est leur relation difficile parce qu'elle se laisse souvent quasi dominer par lui. Ce qui est difficile à accepter pour moi ce sont les conséquences pour son fils, pour sa scolarité, par exemple. Mais aussi et surtout en qui concerne sa santé, quand je vois, par exemple, son poids monter lentement, mais sûrement, au-dessus de ce qu'il devrait être pour son âge et sa taille. Et que je sais pourquoi ! Blanche me comprend. Pas seulement en paroles, mais en profondeur. Elle comprend que ma position est difficile, que ce dont je me soucie n'est pas anodin, mais elle pense que mes interventions (remarques, conseils, etc) risquent d'être contreproductifs. Je l'ai compris. Je l'ai accepté. Mais ça reste difficile.

Qu'est-ce que j'ai acquis d'autre ? Une moindre tendance à me culpabiliser, à me mésestimer, à regretter d'avoir aussi peu de pouvoir sur moi-même et sur le monde, et sans doute encore d'autres choses qui ne me viennent pas à l'esprit dans l'immédiat. Tout cela se manifeste par de petites choses dans la vie courante. C'est bon de les remarquer. Je me dis : "Tiens, à une époque, j'aurais ressenti les choses tout à fait autrement". Et c'est agréable de le constater ...

26/11/2019

Inscription et émotion

Jusqu'en mai dernier, ma pupille ne m'avait donné aucun souci scolaire alarmant. Mais depuis, c'est le chaos ! En juin, elle était carrément en décrochage scolaire. Elle devait choisir une option professionnelle pour l'année scolaire suivante et peut-être une nouvelle école. Il serait trop fastidieux d'énumérer tous ses changements d'avis et les multiples raisons qu'elle a invoquées pour les justifier. En résumé, tout tournait autour du fait qu'elle ne voulait pas être dans une école sans au moins une de ses cousines. Alors qu'elle voulait faire coiffure, elle m'a laissé l'inscrire dans une école d'habillement parce que l'une de ses cousines s'y inscrivait également. C'est alors que j'ai compris où était sa priorité. La présence de la cousine d'abord, l'option ensuite. C'était le 9 octobre, un bon mois après la rentrée ! Elle y accuse déjà plusieurs absences injustifiées et un tas de retards. "C'est à cause du tram, madame." Malheureusement ladite cousine a changé de direction et bien sûr Yasmine veut faire de même. Je l'ai donc inscrite aujourd'hui dans la même école que 3 de ses cousines (!) Il s'agit d'enseignement en alternance : 2 jours d'école par semaine, 3 jours de stage, dans un salon de coiffure, ce qu'elle ne voulait absolument pas faire en septembre. Le lien qui l'unit à ses cousines est tellement important qu'elle a demandé à l'accompagnateur qui s'occupait de son inscription pourquoi elle ne pouvait pas être dans la même classe qu'elles. Il ne lui a pas caché que c'était mieux pour leur concentration à toutes et qu'elle devait savoir qu'elle bénéficiait déjà d'une faveur car en principe les classes étaient complètes. C'est d'ailleurs ce qui m'avait été annoncé au départ, avant que je plaide en sa faveur.

Depuis toutes ces histoires, je l'ai vue beaucoup plus souvent qu'auparavant et nos relations se sont enrichies. Sa timidité s'est envolée, elle me parle plus ouvertement et nous rions même ensemble. En allant faire faire des photos d'identité que l'école lui réclamait, elle m'a demandé tout à coup s'il y avait d'autres "élèves" dont je m'occupais. Je lui ai répondu qu'il y avait aussi un garçon avant. "Oui, je l'ai vu quand on était au CGRA (Commissariat Général aux Etrangers et Apatrides, qui octroie le statut de réfugié)" - "C'est ça. Mais à 18 ans, étant majeur, il n'a plus eu besoin de moi et je ne l'ai plus vu. Elle m'a dit : "Et moi, quand j'aurai 18 ans ?" - "Et bien, tu pourras décider pour toi-même et signer tout ce qu'il faut sans avoir besoin de personne d'autre. Elle hoche la tête brièvement puis ajoute : "Oui, mais moi je vous aime !" Vous auriez vu ma tête, mes aïeux ! "Oohhh ! Mais c'est gentil de me dire ça ! Moi aussi, je t'aime ! Mais, tu sais, on pourra toujours se voir. J'aimerais bien avoir de tes nouvelles. Mais seulement ce ne sera plus mon travail de m'occuper de toi." Elle sourit. Je souris. Je suis secouée !

Après la déclaration d'amour (tardive) de Jamal que je raconte dans ma note précédente, voilà celle de Yasmine qui m'émeut tout autant ! Ce qui est fort, c'est cette façon directe d'exprimer un sentiment subtil, qui est due à la mauvaise maîtrise de la langue. L'estime, l'affection, l'amitié, toutes ces nuances n'existent pas dans leur vocabulaire. Il faut donc utiliser les mots qu'on connaît. Pas de fioriture. Pas de louvoiement. "Je vous aime !" Point barre. :)

18/10/2019

Plaisir inattendu

Mercredi, je reçois un coup de fil d'une dame qui venait d'être désignée tutrice d'une jeune fille (mineure étrangère non accompagnée). Elle m'explique que le compagnon de cette jeune fille est le jeune Syrien dont je m'étais occupée jusqu'à ses 18 ans, Jamal ! Mon rôle avait alors pris fin, vu sa majorité. J'avais encore eu des nouvelles parce qu'il avait eu des problèmes pour obtenir le visa de sa famille qu'il voulait rapatrier en Belgique. Une association m'avait contactée à ce sujet. Plus tard, la police m'avait téléphoné parce qu'ils le recherchaient en tant que témoin et victime d'une rixe au couteau. Il avait été blessé sans trop de gravité. J'avais moi-même tenté d'avoir de ses nouvelles à son portable et par facebook, mais il ne m'avait pas répondu.

En début de semaine, avant ce coup de fil donc, j'en parlais justement à mon mari, disant que je ne saurais sans doute jamais si sa famille l'avait rejoint en Belgique, s'il était retourné au Liban où sa famille s'était réfugiée, ou s'il était resté seul en Belgique.

Et voilà que cette tutrice m'apporte tous ces renseignements sur un plateau d'argent ! Elle me raconte que l'amie de Jamal, dont elle est tutrice est enceinte (à 16 ans) et qu'en parlant de moi, il s'était enthousiasmé, qu'il voulait avoir mon numéro de portable car il ne l'avait plus et qu'il voulait me contacter ! Wouaw ! Ça faisait plaisir à entendre !

Cet après-midi, un coup de fil : "Bonjour madame." En entendant l'accent, je crois que c'est quelqu'un de la famille de ma pupille qui m'appelle. J'attends ce qu'il a à me dire. Mais vous l'aurez compris, c'est mon ex-pupille en personne que j'ai au bout du fil ! Il baragouine quelques phrases que je ne comprends qu'approximativement. Je lui réponds, mais il ne me comprend pas. Son français ne s'est pas beaucoup amélioré. Alors, à bout de vocabulaire, il me dit en parlant de lui-même :"Tu connais Jamal ?" Oui, je connais Jamal ! Il pousse un grand "Ahhhhh" de satisfaction. Entre toutes ses phrases chaotiques et les miennes dont le sens lui échappe pour la plupart, je comprends qu'il va se marier. Un moment donné, il me lance un "Je t'aime ! Tu es ma mama !" plein de fougue. Je ris. Il était plus réservé à l'époque où je l'ai pris en charge. Je dis que je suis contente d'avoir de ses nouvelles. Il ne comprend pas. Je dis que ça me fait plaisir. A-t-il compris ? Je ne sais pas. Mais un courant de sympathie passait au-delà des mots. C'était cool !

Autant je ne souffrais d'aucune déception majeure concernant l'ignorance où j'étais de la vie que menait maintenant Jamal, autant j'ai été surprise de l'émotion agréable que ce coup de fil a provoqué en moi. Je souris encore en y repensant ...