06/09/2022
trois ans et quatre mois
Hier matin, on me téléphone de la maison de retraite. J'ai tout de suite pensé que c'était au sujet de Marcel. Mais il était aussi possible qu'on me demande de participer à une activité.
C'est la première hypothèse qui s'est avérée la bonne. Marcel était mort le matin même. Après s'être levé, il ne s'était pas senti bien. Ils l'ont aidé à se recoucher et il s'en est allé tranquillement, là où nous irons tous un jour.
Quelle chance il a eue de ne pas souffrir, de ne pas traîner sur terre dans des conditions difficiles. D'avoir gardé sa tête jusqu'au bout. Et même physiquement, il n'est pas passé par le stade chaise roulante et autre dépendance. Même si bien sûr tout ne fonctionnait plus de manière optimale. Sa vue surtout était devenue très faible. Je pense qu'il ne voyait plus que les contrastes. Ce qui lui permettait de se déplacer, en terrain connu uniquement, de sa chambre à la salle à manger ou au petit salon où il discutait avec les perruches. Ou encore jusqu'à l'ascenseur devant lequel il se postait jusqu'à ce que quelqu'un passe à qui il demandait de pousser pour lui sur le bouton de l'étage désiré. Ce qui lui permettait d'aller boire une bière à la cafette l'après-midi.
Jusqu'au bout, il a gardé sa dignité, le souci de sa présentation. Ainsi, il ne serait jamais allé manger en pantoufles ou non rasé. Et régulièrement, il me demandait si ses vêtements étaient propres.
Il était de ceux qui sentent qu'ils vont partir. Il me l'avait dit au cours de mes 2 dernières visites. Mais comme il était de nature optimiste, il avait rajouté : "Mais il se pourrait aussi que ça aille mieux." Sans conviction sans doute. Il a fini sa vie en douceur, à 95 ans, comme un cierge qui s'éteint, sans faire de bruit ...
Je suis allée le voir chaque semaine pendant trois ans et quatre mois. Sauf en période de covid bien sûr. Ça va me faire un vide ...
11:10 Publié dans Maison de retraite | Lien permanent | Commentaires (9)
25/08/2022
Marcel ne va pas bien
Au cours de mon coup de mou récent, j'ai pris des vacances de Marcel. Trois semaines sans aller le voir. Je l'ai prévenu. Je me sentais un brin coupable, mais une part de moi se rappelait les paroles de Blanche concernant d'autres circonstances : "Pourquoi vous vous imposez ça ?" Ce sont les obligations qui ont fait de moi une rebelle. Celles que l'on m'a imposées. Et puis celles que j'ai fini par m'infliger moi-même. Oh, je n'ai jamais produit de grosses vagues destructrices. Juste des vaguelettes de résistance passive ...
Je suis donc retournée voir Marcel, qui était bien content de me revoir. Il m'a dit qu'il craignait que je ne lui rende plus visite.
Après avoir essayé de m'embrasser, il y a quelques années, il n'avait plus fait allusion à cet "incident" pendant longtemps. Et moi non plus. Mais depuis quelque temps, il suggère très régulièrement qu'une relation pourrait exister entre nous. C'est souvent présenté de façon légère, humoristique. "Tu ne veux pas rester dormir avec moi ?" Dans ce cas je lui réponds sur le même registre : "Ici dans ton petit lit d'une personne ? Ce ne serait pas très confortable, dis donc !" Ou parfois, il me regarde et s'interroge tout haut : "Serait-il possible que je sois en train de tomber amoureux de toi ?" Je lui réponds :"Tu m'as déjà parlé de ça, mais tu sais ce qu'il en est hein ?" Lui : "Oui, je sais, ce n'est pas possible car tu es mariée." Moi : "Oui, et j'aime beaucoup mon mari." Une autre fois c'était : "On serait bien en couple, non ?" Moi :"C'est bien aussi d'être amis, non ?"
Mais aujourd'hui, c'était tout autre histoire. Il n'était pas dans sa chambre, mais dans l'espace TV, ce qui n'arrive jamais. Il dormait assis. Je suis allée demander à l'infirmière s'il y avait un souci avec lui. Elle m'a répondu que non. Je suis donc retournée auprès de Marcel et l'ai réveillé doucement. Il se plaignait de fatigue et ne pas se sentir bien. Ensuite il a voulu se raser. Nous sommes donc retournés dans sa chambre. En chemin, il a retrouvé sa joie de vivre et a fait quelques enjambées au pas de course. Enfin, façon de parler c'est juste une marche un peu plus rapide et plus ou moins sautillante. C'est la troisième visite au cours de laquelle il me dit qu'il ne se sent pas bien, sans être capable de préciser ce qui ne va pas. Et qu'il dit qu'il va mourir. Cette fois-ci je l'ai en effet trouvé pâle et un peu confus. Je lui ai lu une note concernant le 4ème vaccin covid prévu. Il m'a écouté en silence et quand j'ai eu fini, il m'a dit d'un air perdu qu'il n'avait rien compris, en ajoutant que ça n'allait pas du tout avec lui, qu'il ne voyait plus rien, qu'il ne comprenait plus rien. Il est vrai que sa vue baisse drastiquement et que son appareil auditif ne fonctionnait pas. Alors, je lui ai dit succinctement et plus simplement de quoi il s'agissait. Là il a compris et s'est calmé.
J'ai ensuite reçu un appel téléphonique et j'ai dû rentrer chez moi un peu précipitamment. Il était assez dépité que je m'en aille déjà. Le médecin lui a dit qu'il vivrait jusqu'à 100 ans. Il en a 95. Un jour j'arriverai dans sa chambre et il y aura quelqu'un d'autre. Car je ne suis pas sûre qu'on me prévienne s'il lui arrivait quelque chose.
17:59 Publié dans Maison de retraite | Lien permanent | Commentaires (7)
03/06/2022
L'humour de Marcel
Marcel, mon copain de la maison de retraite, est quelqu'un de positif. Il aime chanter. Il aime rire. Il fait de l'humour. Et pourtant, quand je lui raconte les blagues qui paraissent dans la revue de la résidence, il ne rit jamais. Par exemple :
Moi : "Ça, c'est la page des blagues, mais toi elles ne te font jamais rire. Ce n'est donc pas la peine que je te les raconte."
Marcel : "Si, si, parfois je ris."
Moi : "OK, on va voir. C'est l'histoire d'un flic qui interpelle un cycliste :
- Dites-donc, mon gars, votre vélo a pas mal de problèmes. Vos freins ne fonctionnent pas, votre phare ne s'allume pas et votre sonnette est cassée. Ça va vous coûter 25 € !
- D'accord, répond le cycliste. Mais alors, il faudra qu'il soit prêt pour demain."
Marcel me regarde, perplexe, attendant peut-être la suite ? Je lui explique le malentendu. Il hausse les épaules, dépité. Je ne sais jamais s'il ne comprend pas la blague ou si tout simplement il ne la trouve pas drôle.
Moi par contre, je ris 2 fois. Une fois pour la blague. Une deuxième fois en voyant la tête déconfite de Marcel.
16:29 Publié dans Maison de retraite | Lien permanent | Commentaires (12)