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08/08/2019

Jeannine

C'est elle qui m'a reconnue, il y a des années de cela. Nous avions été en classe ensemble, en 5ème primaire. Je ne m'en souvenais pas du tout. Je l'ai ensuite rencontrée lorsqu'elle avait participé au jardins ouverts de notre village. Son jardin était magnifique. Je l'ai ensuite rencontrée à la formation de maître-composteur où elle officiait avec son mari. Je l'ai vue aussi organiser des visites guidées du domaine Jean Pain et autres activités en rapport avec le jardinage. Je la voyais quelquefois sur le bus, quand nous travaillions encore toutes les deux à Bruxelles. Nous n'avons jamais échangé plus de 5 minutes. Elle s'occupait en plus d'autres associations et du salon de coiffure de la maison de retraite. Là, sa réputation était faite ! Caractère de chien, maniaque, susceptible, directive, etc. Quel tableau ! J'ai assisté d'ailleurs à son départ précipité et au claquement de la porte, pour une petite taquinerie sans méchanceté, lors d'un déjeuner offert aux bénévoles.

Je fais des remplacements audit salon de coiffure et pendant des années je n'avais jamais eu l'occasion de travailler avec elle. Puis vint le jour où, en arrivant, je vis son nom sur le tableau, à côté du mien. Un petit stress me crispa quelques instants, vite balayé. Ce n'est quand même pas le diable non plus ! On ne va pas s'engueuler dès les premiers vrais contacts ! Et en effet, cela se passa très bien. Nous avions quelques points en commun. Cela facilite la communication. Etant jeunes, nous habitions le même coin de Bruxelles et nous avons fait nos études en français, alors que nous étions issues de familles flamandes.

Elle m'avait touchée quand elle m'avait raconté comment le fait de n'avoir pas d'enfants avait suscité des remarques négatives dans son entourage. Elle m'avait d'abord dit sous forme de boutade qu'elle n'avait pas eu le temps d'en faire. Elle avait finalement admis que c'était un choix. Elle m'avait aussi raconté la honte qu'elle avait éprouvée à l'école où elle devait faire la vaisselle pour permettre à ses parents d'avoir une réduction sur le prix des repas.

Bref, nous avions eu un échange sympa et direct. J'avais bien vu qu'elle "rectifiait" derrière mon dos ce qu'elle considérait devoir être fait autrement (des détails), mais sans m'en faire la remarque et en toute discrétion. À la fin de la matinée, quand nous étions occupées à ranger, elle m'a dit que ce fut un plaisir d'avoir travaillé avec moi. C'était le cas pour moi aussi et je le lui dis. Je me demandais même si elle pouvait devenir une amie.

Lundi, elle travaillait à nouveau au salon de coiffure. Elle ne s'était pas sentie très bien et s'était assise un moment dehors. Mardi, elle était morte ! Hémorragie cérébrale ! Quel saisissement quand j'ai vu sa photo sur le faire-part exposé sur le bureau d'accueil ! Si on m'avait filmée, on aurait vu comment j'ai écarquillé les yeux ! Je ne saurai jamais si elle aurait pu devenir une amie ... Bon voyage, Jeannine ! Tu auras vécu 67 années bien remplies et la vie a voulu que cela suffise ...

28/07/2019

Marcel (1)

Au début, Marcel refusa mon aide. Il aurait voulu qu’on s’occupe de lui au sein même de la maison de retraite, dès qu’il le demandait. Il sollicitait beaucoup le personnel, l’assistante sociale notamment, qui commençait à se lasser. À défaut d’obtenir qu’on réponde à ses appels immédiatement, il finit par accepter mes visites hebdomadaires.

Je suis allée le voir pour la première fois le 25 avril 2019.

La semaine suivante, il avait oublié mon prénom, Catherine (prénom d'emprunt). Pour l’aider à se le rappeler, je lui ai suggéré de penser à l’actrice Catherine Deneuve. Il m’a rétorqué, non sans humour : « Oh non, alors j’aurais 2 noms à retenir  ! » Il s’est cependant toujours souvenu de mon prénom par la suite.

Après quelques rencontres, je lui ai demandé si ça lui convenait toujours que je vienne le voir et s’il désirait continuer. Il m’a répondu que ça l’aidait beaucoup, mais m’interrogeait sur mon envie à moi ? Je l’ai assuré que je le faisais avec plaisir. « Dans ce cas, je suis content moi aussi », a-t-il ajouté.

Que faisons-nous donc chaque jeudi pendant une heure ? Quelle est ma « mission » ? L’animatrice qui m’avait interpelée pour cette intervention m’avait prévenue que ce ne serait sans doute pas toujours facile. Il était assez exigeant et j'aurais beaucoup à lui rappeler les mêmes choses. Ayant pensé à moi du fait de ma patience, elle espérait néanmoins que je pourrais l’aider à se sentir moins perdu. En effet, étant donné sa vue fort défaillante, il ne maîtrisait plus certaines situations vu qu’il était incapable de réexaminer les documents, les classer, etc. Il perdait le contrôle et ça l’angoissait. Il fut convenu que je lui consacrerais une heure par semaine.

Les premières fois, je les ai passées à lire et relire, feuille après feuille, tout le contenu de ses dossiers. Cela allait des factures en tout genre au décorations militaires, dont il était assez fier, en passant par le projet de faire-part de son propre décès, tel qu’il voulait qu’il soit rédigé. Il me demandait aussi d’examiner les publicités de chez Carrefour et les tickets de caisse, pour savoir combien de points il avait gagné et de quelles réductions il pouvait bénéficier.

Qu’il avait été militaire, on me l’avait dit avant que je ne le rencontre. Il avait aussi été contrôleur des contributions. Ces deux choix professionnels ajouté à son caractère apparemment autoritaire m’avaient donné une idée un peu caricaturale du personnage.

Je me demandais, au début, s’il n’avait pas surtout besoin de parler, mais il s’avéra qu’il ne parlait jamais longtemps et se replongeait rapidement dans ses papiers. C’était réellement un stress pour lui. La peur d’oublier notamment. Petit à petit cependant, le tour de ses paperasses ayant été fait plusieurs fois, nous avons bavardé de plus en plus.

07/12/2018

Saint Nicolas

Je ne vais pas vous parler du patron des écoliers, mais bien du grand Saint Nicolas qui vit toujours dans les cœurs de ceux qui n'ont pas oublié l'enfant qu'ils étaient.

À la maison de retraite, quand "Il" arrive, ce sont des sourires qui l'accueillent. L'homme derrière la barbe blanche est jeune et joue le jeu avec bienveillance et respect. Il distribue amabilités et friandises. À certaines personnes qui semblent fragiles ou en souffrance, il trace de sa main gantée, une croix sur le front. J'étais un peu surprise, limite choquée par cette pratique peu catholique, si je puis m'exprimer ainsi. Je pensais qu'il pourrait heurter la sensibilité de ceux qui sont croyants (il y en a beaucoup) et qui pourraient le considérer comme un usurpateur, voire un profanateur. Pourtant la réaction des intéressées m'a rassurée (c'étaient des femmes). L'une d'elles a clairement exprimé le bien que ça lui faisait. Une autre a embrassé sa main.

Je ne m'attendais pas à ça ! Elles savent pourtant que c'est un faux Saint Nicolas. Elles ne sont pas à ce point retombées en enfance. Et pourtant, quelque part dans leur tête, il s'agit quand même bien d'un saint. Quelqu'un qui leur veut du bien. Il entre dans leur imaginaire comme dans un conte de fée. Et finalement, c'est attendrissant !