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12/11/2021

Touchée

Je voulais poster une vidéo de mes chiens rencontrant un cheval très intéressé par ces deux petits quadrupèdes qui passent près de la clôture de son pré. Pas du tout par la bipède qui les accompagne. Mes chiens aussi s'approchent pour examiner ce géant, mais pas de trop près. Comme la vidéo ne passe pas, je vais vous raconter 2 petites anecdotes touchantes et récentes pour vous faire savoir que j'ai aussi une vie en dehors de ma fille ...

Il y a quelques jours, j'entrais dans un magasin de seconde main alors qu'une dame quittait la caisse avec une petite fille. La femme, qui devait être la grand-mère, dit à la petite : "Oui, maintenant elle est à toi." Et je vois la fillette portant une poupée-fille dans les bras. Elle la tenait horizontalement, sans la serrer, comme un objet super précieux. Elle ne la quittait pas du regard et restait plantée là, au point que la dame a dû la diriger vers la sortie en la poussant doucement.

Ça m'a rappelé l'importance qu'avaient mes poupées dans mon cœur d'enfant. J'ai lu dernièrement que jouer avec une poupée aidait les enfants à développer de l'empathie. Est-ce que les garçons jouent à la poupée à notre époque ? Quand j'étais petite, c'était tout à fait proscrit.

La deuxième anecdote date de la semaine dernière. Comme toutes les semaines, j'allais voir mon copain Marcel à la maison de retraite. Au sortir de l'ascenseur, me voyant arriver, une animatrice me prévient que Marcel est tombé. Il n'a rien de grave, mais il ne peut plus rester dans sa chambre momentanément car il faut que le personnel puisse le surveiller quelque temps. Un peu plus loin, le jeune ergothérapeute que je connais et apprécie beaucoup, me donne un peu plus de détails sur l'état psychologique de Marcel.

17098.jpgJe découvre Marcel près de la cage aux oiseaux, dans un petit salon appelé "espace télé". Nous parlons un peu. Il est contrarié de ne pas pouvoir rejoindre sa chambre, mais il ne fait pas trop d'histoires. Je lui propose de chanter. C'est ce que nous faisons presque toutes les semaines maintenant. Il est très demandeur. Quand par hasard nous ne chantons pas, au moment où je m'en vais, il me dit : "Et on n'a même pas chanté !"

Il y a une autre personne dans la pièce. Elle apprécie l'ambiance. Elle fait de petites réflexions approbatrices et chantonne quelques bribes avec nous. Je la rapproche avec sa chaise roulante pour créer plus de proximité. Entre 2 chansons, elle me demande si elle peut me raconter quelque chose de triste. Ça ne sera pas long, précise-t-elle, comme pour s'excuser de me prendre de mon temps. Et elle m'explique que son fils ne vient jamais la voir, mais qu'enfin, il est venu. Et qu'elle va le revoir par tablette interposée. Je lui demande où il habite. Elle me dit en Afrique du Sud ! Pas étonnant qu'il ne vienne pas trop régulièrement. Bref, raconter cette histoire, qu'elle a sans doute déjà racontée un tas de fois, a dû la soulager un peu, momentanément. Ensuite, elle s'est assoupie.

Une autre dame est amenée, également en chaise roulante. Elle sort du salon de coiffure. Elle a toujours un air revêche et pourtant, une fois la glace brisée, elle est charmante. Nous chantons. La dame dit qu'elle a beaucoup chanté dans sa jeunesse, mais qu'elle ne chante plus. Sa voix est partie. Et pourtant, peu après, elle ne peut visiblement pas s'empêcher de nous accompagner.

Une infirmière s'arrête à l'entrée de la pièce. Elle s'appuie contre le chambranle en souriant. Elle me dit que ce qui est bien, du fait que Marcel doit rester là, c'est que d'autres personnes profitent de ma venue. Elle dit qu'elle adore quand Marcel se met à chanter. Il est connu pour ça dans la maison. Ils se vannent un peu mutuellement en rigolant, puis elle repart. Je suis surprise car habituellement cette personne m'ignore totalement. Elle semble éviter mon regard. Si elle le croise par accident et que c'est moi qui lui dit bonjour, elle me répond du bout des lèvres, les yeux rapidement tournés ailleurs.

Bref, ce sont des petits moments qui font chaud au cœur.

03/10/2021

Paul (suite)

Le commentaire de Nots sur ma note précédente :

J'aime bien cette histoire, et la question plus large qu'elle pose. Est ce que changer dans le présent quelque chose qui a eu lieu dans le passé répare le passé et apaise le présent ?

Qu'en penses tu au bout d'un mois ?

_____________

Je suis d'accord avec Pao. La question est intéressante. Voici mes réflexions.

Le gars qui m'a fait un devis pour la réparation de ma poupée était absent pendant quelque temps. Je ne pouvais donc rien lui envoyer sous peine que le colis me soit renvoyé.

Entretemps, j'ai programmé une visite à mon amie d'enfance. Elle est psychologue. Elle se souvient bien de Paul, mais je ne sais pas si elle se rappelle l'accident. Je voulais lui demander ce qu'elle en pensait. Je la vois vendredi.

Pendant cette pause, j'ai repensé à ce film dont j'ai oublié le titre. On y voit une femme reprendre contact avec les personnes qu'elle a blessées dans le passé. Réparer le mal qu'elle avait fait. Ça m'avait touchée. Mais je me rends compte que la culpabilité envers ma poupée est différente de celle que l'on pourrait avoir envers des humains comme dans le film ou même envers des animaux. Ma poupée s'en fiche d'avoir un corps plus petit que l'original, non ? En tout cas, Chaourcinette, Melounette et Agathe opteraient plutôt pour la laisser telle quelle. Quant à ses vêtements qui me semblaient devenus si grands pour elle, je les ai réexaminés plus objectivement. On ne perçoit pas vraiment qu'ils ne sont pas parfaitement à sa taille. J'ai mis du temps à accepter avoir amplifié les conséquences de la "faute". Il y a de la culpabilité bien sûr. Et là, ça demande une démarche de pardon envers moi-même. Je m'y attelle depuis des années déjà. Pas spécifiquement envers Paul. Je parle de la culpabilité en général. Et cette intolérance envers moi-même quand je fais une "bêtise". Je pense que j'ai pas mal progressé.

Par ailleurs, il y a aussi d'autres considérations à envisager. Je pense que mon besoin de réparation pourrait aussi avoir un rapport avec ce bébé que ma mère n'a pas voulu avoir et qui m'a tant manqué. Comme si j'avais besoin de "rectifier" les décisions des autres dont j'ai souffert ...

Si je veux répondre à Nots aujourd'hui, je dirais que je ne crois pas que la réparation de ma poupée changera quoi que ce soit à ma vie actuelle. Je pense toutefois que je le ferai quand même, mais je n'en attends rien. Juste le plaisir de voir ma poupée reconstituée.

Une chose me frappe en terminant cette note. C'est surtout quand elle est nue que je suis choquée par le défaut de cohérence corps/membres de Paul. Je crois que c'est une fameuse piste de réflexion à creuser. Psychanalytiquement s'entend ...

03/09/2021

Paul

Je ne sais pas quel âge j'avais quand Paul est entré dans ma vie. D'où venait-il d'ailleurs ? Je ne me posais pas trop la question. J'étais super contente qu'il vienne vivre avec nous. C'était un petit bonhomme silencieux aux beaux yeux bleus, à la mine sérieuse. Ce n'était plus tout à fait un poupon. Il avait déjà l'allure d'un petit mec bien droit sur ses petites jambes. Il dormait dans ma chambre qui était assez grande. Il n'y en avait qu'une de toute façon. Mes parents dormaient dans la salle à manger où se trouvait leur lit escamotable. En hiver, les poêles étaient éteints la nuit. Je vérifiais donc régulièrement qu'il n'ait pas froid. Je le couvais.

Maman lui avait cousu et tricoté des vêtements. Il n'en avait pas des masses, mais c'était comme ça à la maison. Moi non plus je n'avais pas un tas de vêtements. Seulement deux de chaque sorte pour pouvoir changer.

Un jour, il est arrivé un accident. Pas dramatique, heureusement, mais traumatisant, surtout pour moi car j'étais responsable. J'ai soulevé Paul. Il m'a échappé et est retombé sur la tête. À ce stade, il vaut mieux que je vous rassure. Si Paul n'était plus un poupon, il n'était pas un vrai petit garçon non plus. Paul était une poupée reçue d'une petite fille devenue trop grande pour jouer avec elle.

Quand je l'ai soulevé, sa tête était intacte. Pas la moindre égratignure. Ouf ! Mais toute la partie du corps à la base du cou était cassée. La tête s'y était enfoncée. J'étais pleine de culpabilité et absolument déconfite. J'ai recollé les fêlures avec du papier collant.

Ça s'est passé chez mon amie. Ses parents m'avaient gentiment proposé de porter ma poupée à l'hôpital des poupées. Je ne savais pas que ça existait. Quand Paul est revenu, il avait un nouveau corps. J'aurais dû être contente. Mais ma déception fut terrible. Ce corps ne correspondait pas du tout ! Il était nettement trop petit. Les cuisses de mon Paul frottaient maintenant l'une contre l'autre. Les bras débordaient au point d'attache. Et en plus, comme il avait globalement rétréci, il flottait dans ses vêtements. Je n'ai pas osé exprimer mon désarroi. J'aurais voulu qu'on me rende son corps, le vrai, même amoché. Je l'imaginais dans une poubelle. Impossible de le récupérer, je suppose. Les parents de mon amie ont dû être désappointés de mon manque d'enthousiasme. Ou bien l'ai-je suffisamment caché ? J'étais hyper déçue et en plus, pour ne pas les blesser, je ne pouvais pas le dire ...

Ce souvenir m'est revenu à l'occasion de la brocante à laquelle je compte participer en fin de mois. J'avais ouvert le coffre dans lequel j'avais stocké un tas de poupées et de peluches pour voir ce qui pourrait être vendu. Je craignais de retrouver Paul en mauvais état, vu les conditions qu'on peut imaginer dans un garage. Surchauffe en été et températures glaciales en hiver. Et cela pendant des décennies. Mais si certaines autres poupées plus récentes (celles de mes filles) s'étaient détériorées, Paul, lui, n'avait pas changé. En le retrouvant, j'ai retrouvé toutes mes émotions de l'époque. La joie d'avoir une telle grande poupée, le sentiment particulier quand je regardais Paul dans les yeux, mais aussi tous les sentiments négatifs que je viens de détailler.

J'ai passé une partie de la journée à chercher sur internet un corps à vendre. Bizarre quand même de dire "corps à vendre !" J'en ai trouvé 2 sur e-bay. J'étais très excitée. Malheureusement, l'un était trop petit, l'autre trop grand. Zut ! Je me suis ensuite renseignée auprès d'un réparateur de poupées anciennes. Il possède dans son stock le corps ad hoc. Wouaw ! Mais le prix n'est pas aussi wouaw que ça : 35 € pour le corps, 80 € pour le travail, sans compter les petites pièces et élastiques s'ils doivent être remplacés, 15 € la pièce. À ça, il faut ajouter les frais d'envois aller et retour car ce monsieur habite à Paris et moi en Belgique, au Nord de Bruxelles.

Du coup, je me demande si ça en vaut la peine. Car une fois mon Paul réparé, que vais-je faire de lui ? Je ne me vois pas l'exposer dans une vitrine. Aurais-je réparé ma blessure d'enfant ? Et quelque chose sera-t-il guéri dans ma vie actuelle ? Ces mots "réparation" et "guérison" se sont régulièrement présentés au cours de ma thérapie ...