Cette fois, je me suis exprimée

Ma fille est venu chercher dans mon garage un vélo pour son fils. J'étais contente de me retrouver seule avec elle, pour une fois. Je me sentais particulièrement accueillante et bienveillante. Elle est arrivée vers 9h et repartie vers 14h30. Nous n’avons quasi pas discuté d’autre chose que des complots et de son état psychologique qui s'améliore de jour en jour.

J’ai pu lui dire, calmement, comment je me positionnais. Je dois admettre que ça n'a pas toujours été le cas. Parfois, je me suis énervée. Parfois, j'ai ricané. Parfois, j'ai refusé d'écouter. Je ne me le reproche pas. J'étais tellement envahie par son discours constant ! Il fallait que je mette le holà !

Il semblerait que ma remarque sur sa propension à adhérer à des idées d’extrême-droite l’ait touchée suffisamment pour qu’elle se pose la question. Cependant elle continue à nier cette tendance. J'insiste, je confirme et renchéris : "Tu sais, par exemple, la tribune des militaires avec laquelle tu semblais d’accord, ben, ce sont pour la plupart des gens proches de l’extrême-droite. Et en premier, celui qui l’a rédigée. Et qui a soutenu le texte ? Marine Le Pen, extrême-droite. Il y a aussi Florian Philippot, ex-vice président du Front National, avec lequel tu te sens en phase." Je suis contente d'avoir pu revenir là-dessus. J'aurais pu lui rappeler sa sympathie pour Jack Angeli, l'homme aux cornes (extrême droite) qui s'est retrouvé en prison après l'assaut du Capitole. Je n'y ai plus pensé. Pas grave, je pense que ça va quand même faire son chemin ...

Dépitée que personne ne la croie et fâchée d'apprendre que j'allais recevoir ma deuxième dose du vaccin, elle me dit avoir été apaisée en entendant une personne (chamane ?) dire qu’il ne faut pas se faire du souci pour les gens qui ne vous écoutent pas quand vous clamez la vérité ; ils ont besoin de faire leur propre chemin. Ça lui aurait permis de prendre du recul. J'approuve et lui renvoie la balle : « C’est exactement ce que je fais avec toi ! » Elle sourit.

Elle s’est sentie très seule pendant toute cette période où elle tentait de nous "informer" sur ce qui selon elle se tramait. Elle a cru devenir folle. Elle a pensé au suicide. Je lui ai dit que ce sentiment de solitude me rappelait l’époque où tout son entourage était en désaccord avec la relation qu’elle persistait à maintenir avec XY (le père de son fils) qui de son côté faisait tout pour la tenir sous sa coupe et l’éloigner de nous. « C’est vrai … mais je vois où tu veux en venir (elle rit). Je ne suis pas du tout dans une situation où je me fais manipuler. » - Moi : « Je crois que si »...

Pour justifier ses croyances, elle parle de son intuition. Je lui oppose que son intuition lui dit ceci et l’intuition d’autres personnes leur dit autre chose. Alors pourquoi son intuition serait-elle la meilleure ? L’intuition ne fonctionne que pour ce qui nous concerne personnellement et encore. Comment être sûr qu'il s'agisse bien d'intuition ?

Elle m'a demandé pourquoi alors elle croyait à tout ça. Je lui ai répondu qu'elle était une personne ayant une très grande ouverture d'esprit. Je pense qu'elle l'a pris pour un compliment, ce qui était le cas. Mais j'ai rajouté : "... avec le risque de s'ouvrir à tout, à trop, de tomber dans l'excès, de dépasser les limites.

Elle me demande si à aucun moment je n’ai douté. Je lui explique que ma façon de procéder est toujours la suivante. Si j’entends quelque chose de « bizarre », je fais des recherches et alors je me fais une idée, tout en sachant que ce n’est qu’un avis, pas une certitude. C'est ce que j'ai fait au sujet des complots. Rien ne m'a jamais paru globalement crédible. J'ai rajouté qu'elle n'était pas dans cet état d'esprit. Qu'elle ne confrontait pas les informations. Elle dit régulièrement qu'elle aimerait être journaliste d'investigation. Je ne lui ai pas dit qu'elle devrait alors faire preuve de plus d'objectivité et de contrôle des sources.

Je lui dis que je crois qu’elle a commencé par voir des vidéos étonnantes et qu’elle a été prise dans une spirale dont elle n’est jamais sortie, confortée par des vidéos du même acabit qui lui sont proposées par des algorithmes, sur base de ses visionnages. Elle nie vivement en signalant qu’on peut refuser cette fonction sur youtube (je n'ai pas vérifié si c'est vrai et j'ignore si elle l'a fait). Puis, elle avoue que dans son cas c’est pire car lorsque, dans une vidéo complotiste, elle entend quelqu’un parler d’un sujet qui l’interpelle, elle recherche ce que cette personne a pu dire d’autre. Voilà bien la preuve que c’est un engrenage.

Je lui dis que j’ai l’impression qu’une vraie paranoïa s’est installée en elle. Tout est devenu suspect. Les avions, le couvre-feu qu’elle pensait être une mesure permettant d’installer la 5G la nuit à l’insu de tous, le vaccin dangereux, les masques néfastes, et j’en passe.

Je lui dis aussi qu'elle n'est pas intéressée par le dialogue, mais uniquement par le fait de pouvoir parler de ce qu'elle croit, elle. Je lui rappelle les questions que j'avais posées par mail, auxquelles elle n'a pas répondu. Elle rétorque qu'elle y a répondu. "Oui, mais seulement quand j'ai insisté pour avoir des réponses. Par la suite, d'autres questions sont restées en suspens. Non, je ne crois pas que le dialogue t'intéresse"...

Je suis revenue sur le fait que son père ne lui avait jamais autant manqué, pendant la période où j'ai refusé de l'écouter parler des complots et de Trump. Elle "sait" que lui l’aurait comprise. Je lui ai dit qu’elle l’idéalisait, que si ça tombe, il lui aurait dit qu’elle était complètement folle (je le connais). Elle le nie : « Si, il m’aurait comprise. » Si ça lui fait du bien de penser ça, ça ne me dérange pas, mais je voulais exprimer mon point de vue. En fait, je ne suis pas allée au bout de ma pensée (je n'y ai même pas songé). J'avais l'impression qu’elle voulait me blesser en comparant l’attitude supposée accueillante de son père et la mienne qui ne l’a pas été. Je lui demande comment j’aurais pu soutenir une idée avec laquelle j’étais en désaccord. Ce n’est pas pour autant que je ne la soutenais pas "en général". Elle me rétorque que pourtant maintenant, elle se sent soutenue. Probablement parce que je l’écoute à nouveau, ce que j'avais refusé de faire un moment donné.

Après cette conversation, je me suis sentie en paix. J'avais pu m'exprimer avec calme et sans tabous. J'avais été moi-même. Et elle m'avait écoutée.