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26/10/2020

Le tourisme a ses limites

Avec ma fille aînée, on avait commencé à échanger par mail, toujours à propos des complots. Mais un moment donné elle n'avait plus répondu. Quand je lui en avait reparlé, elle m'avait dit que c'était fatigant par mail. Pour ma part, ce qui était intéressant par écrit, c'est que j'avais le temps de réfléchir à ce qu'elle me disait. Je pouvais confronter ses affirmations avec d'autres, relire ses mails, analyser, faire mes propres recherches, réfléchir à ce que signifiait l'esprit critique, la crédulité, la limite entre les deux et des tas d'autres concepts.

Par la suite, nous avons repris ces échanges écrits, soit par mail, soit par whatsapp, au point que parfois je me suis sentie envahie, submergée, étouffée. D'un autre côté, j'ai beaucoup mieux pris conscience qu'à l'oral, je n'ai aucune place dans nos conversations. Si je veux en placer une, je dois m'imposer de force. Et ça, c'est pas mon tempérament. À l'écrit, forcément, quand je réponds, je ne suis pas interrompue. Et du coup, ça donne un véritable échange et non un monologue de sa part. C'est beaucoup plus riche pour moi. Pour elle, je ne sais pas.

Quand elle m'envoie des liens internet, ce sont généralement des vidéos. Il y en a qui énoncent des faits qui pourraient être vraisemblables. D'autres sont franchement farfelues. La plupart sont effrayantes et finissent pas m'angoisser. Parfois, je suis quasi happée dans ces films démoniaques. Et si tout ça était vrai ?! Au bout d'un temps, je reviens dans ma réalité quotidienne. Je lis des articles sur le fonctionnement des adeptes du complotisme. J'analyse comment ma fille "s'informe". Il me semble, bien qu'elle dise le contraire, qu'elle privilégie systématiquement ce qui est alternatif, parallèle, ce qu'on nous cache. Ça lui donne probablement l'impression très agréable de faire partie d'un cercle de personnes éveillées, par rapport à ceux qui ne croient pas à ces théories. Ou est-ce moi qui refuse de voir la vérité en face ? Peut-être, comme elle me l'a dit aujourd'hui, parce que c'est trop violent et que donc je me réfugie dans le déni ?

Ce matin, elle m'a encore tenue une demie heure au téléphone. Cinq minutes pour donner des nouvelles de sa santé et celle de Picolo et 25 minutes pour parler du grand complot mondial pédophile et sataniste, du complot de génocide des blancs en Afrique du Sud et de ne je ne sais plus trop quelle autre conspiration. Au bout d'une demie heure, j'ai arrêté la conversation en lui disant que je voudrais bien aussi faire autre chose. Après, je me suis dis que c'était bien beau d'écouter comme une touriste *, mais qu'un moment donné, ça fait du bien de rentrer chez soi.

Et voilà que l'après-midi, elle s'y met sur facebook. Je pense que maintenant elle se voit comme une lanceuse d'alerte. Elle avait publié une vidéo à la gloire de Trump. J'avais réagi négativement, tout comme une amie. C'était il y a 15 jours. Elle y répondait seulement aujourd'hui et malgré que j'avais ma dose, j'ai quand même voulu réagir. C'est surtout la formulation qui m'avait agacée. Je posais une question à laquelle elle répondait par une autre question. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est un procédé qui m'agace profondément. Je lui ai dit. C'est exactement ce qu'avait fait Patricia. Je ne trouve pas que cela favorise le dialogue.

Au bout du compte, je pense que je vais devoir limiter mon écoute car à forte dose ça ne me fait pas du bien. Ni d'ailleurs à mon mari qui ce midi en avait ras la casquette qu'on parle constamment de ma fille et du complotisme. Il comprenait que j'aie besoin d'en parler, mais en même temps, il en avait marre, ce que je comprenais tout à fait. Il s'est radouci quand je lui ai dit que j'étais la seule personne qui écoutait ma fille et que c'était comme ça que j'essayais de remplir mon rôle de maman. Du coup, le dernier échange que j'ai eu avec elle sur facebook, je ne lui en ai pas parlé. Pas simple de naviguer dans tout ça !

* écouter l'autre non pas en juge, non pas avec des aprioris, mais comme un touriste. C'est-à-dire avec curiosité, avec intérêt pour ce qui est différent de ce qu'on connaît ou ce qu'on est soi-même.

 
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