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17/06/2015

Émotions douces

Hier midi, avant d'aller à la maison de retraite, je vais faire une promenade avec les chiens. À deux pas de chez moi, un homme est couché dans un champs, près d'une palissade, à un bon mètre du trottoir. En ville cela semblerait presque normal, aussi triste cela soit-il. Je serais passée sans m'arrêter. Il aurait pu être mort que je ne m'en serais pas aperçue. Mais à la campagne, ce n'est pas le cas. Il semble dormir, le bras replié sous la tête. Surprise, je m'approche et l'appelle. Il ouvre péniblement les yeux. Je l'interroge. "Vous avez un problème ? Vous êtes malade ? Voulez-vous que j'appelle de l'aide ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? Voulez-vous que je vous accompagne quelque part ?" Il répond par la négative à toutes mes questions. Peut-être a-t-il trop bu, mais je ne lui demande pas. Il se relève un peu, à moitié assis. Ne sachant que faire, je lui dis alors que je m'inquiète pour lui. Il me remercie. Je lui demande où il habite. Il me désigne une maison dans un chemin au bout du champs et me dit que ça va aller. Je le quitte en lui disant que je repasserai après ma promenade. Je m'engage dans la ruelle qu'il m'a désignée et me retourne quelquefois. Je constate qu'il s'est levé et qu'au bout d'un temps il se dirige effectivement vers la maison qu'il m'a désignée.

Je suis contente d'habiter à la campagne où on se sent plus solidaires les uns des autres. Je fais peut-être encore ma sauveuse, mais je crois ne pas être allée trop loin et avoir respecté ce monsieur.

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À la maison de retraite, c'est le jour des chansons. Une fois par mois, un groupe musical (accordéon,  violon, guitare, mandoline et voix) vient égayer les résidents avec des chansons populaires. Des livrets sont distribués pour permettre à ceux qui le peuvent de lire les paroles et de chanter. Paulette avait l'air morose quand je suis allée la chercher. Elle n'avait pas envie de venir. Encouragée, elle se lève et suit le mouvement général, accompagnée par son camarade qui la protège et la dirige car elle n'est plus capable de le faire toute seule. Quand la musique commence, son visage se métamorphose. Elle sourit, chante, se dandine, rayonne. C'est incroyable ! Et en moi monte une douce émotion mélancolique en voyant tous ces gens dont beaucoup ne sont souvent pas au comble de la joie, mais éprouvent quand même encore de bons moments.

Marité , je l'ai amenée dans sa chaise roulante sans qu'elle ne bronche. Elle est restée calme longtemps, mais tout à coup, elle se met à se lamenter, ce qui est très souvent le cas. Je m'approche d'elle, lui prend une main qu'elle a glaciale. Je lui demande ce qui ne va pas. Elle ne me répond pas et continue à geindre sans vraiment me regarder. je l'éloigne du groupe pour qu'elle ne dérange pas, mais surtout pour pouvoir mieux l'approcher. Je lui réchauffe les mains avec les miennes. J'ai vu une vidéo où l'on explique que pour créer un contact, il faut se mettre bien en face des gens atteints de confusion mentale, juste au milieu de leur champs de vision. J'applique donc la tactique. Elle me regarde maintenant, mais ne me répond pas. Je me mets à chanter doucement en lui souriant. Je n'obtiens pas de sourire en retour, mais elle se calme quand même.

Ginette est une petite marrante. Quand je vais la chercher, elle est assoupie. Je lui touche légèrement le bras pour lui dire que je vais l'emmener. Elle ouvre les yeux et me sourit : "Ah, c'est toi ! (je ne pense pas qu'elle me reconnaisse) J'étais justement en train de rêver de toi !" Je pousse son fauteuil roulant vers le corridor. Elle lance joyeusement : "Et voilà ! On est partis ! Tûûût tûûût ! Tu es un ange !" C'est elle qui est un ange ! Au début de la séance, elle chante et tend le bras en l'air, comme en signe de victoire. Puis elle s'endort à nouveau. Je la réveille un peu pour qu'elle profite. Elle me saisit la main, la garde et l'embrasse à plusieurs reprises. J'en suis toute émue.

Adrien a posé sa main sur celle de Juliette. Adrien est le plus gentil des hommes. Toujours de bonne humeur. Toujours le mot pour rire. Sans aucune malice. Il ne se plaint de rien, au contraire. Il dit qu'il ne pourrait pas être mieux. Et s'il ne veut pas venir chanter aujourd'hui, c'est parce qu'il veut rester près de Georgette qui est dans la confusion totale. Une infirmière leur parle patiemment et les convainc d'aller au spectacle. Adrien soutient Georgette qui se laisse guider.

Adrien chante avec tant d'ardeur qu'il me vient l'idée de lui passer le micro. Ma "collègue" se dépêche de m'en trouver un. Un petit signe d'approbation de l'animatrice et j'approche le micro de la bouche d'Adrien. Il est un peu surpris mais continue consciencieusement à chanter de sa voix juste et grave. Il perd quand même un peu le fil des paroles. Une larme coule sur sa joue. Un peu d'émotion, un peu de stress, mais il continue vaillamment et sourit. Je passe ensuite à d'autres personnes. Certaines jouent le jeu timidement. L'une d'elle au contraire chante bien fort dans le micro en riant. Plus tard, elle demandera même à chanter à nouveau et nous livrera une version comique d'une chanson populaire classique, ce qui amuse la galerie.

L'animatrice est enchantée de mon initiative. Elle me félicite. Et moi, qui suis rarement fière, là, je le suis  vraiment. Je me demande même comment j'ai pensé à ça !